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BLACK SONG
16 septembre 2017

CHAPITRE 2 -NIC

Nic

 

Quand j’avais aperçu la fille tétanisée qui se trouvait coincée à l’entrée de ma suite, j’avais d’abord cru qu’elle faisait partie du personnel de l’hôtel. J’étais furieux de ne pas l’avoir entendu entrer. Je déteste qu’on me prenne par surprise. Puis elle se présenta. Journaliste. Tiens, elle n’en avait pourtant pas le profil. Les gens qui nous interviewaient d’habitude étaient en général moins coincés. Son tailleur noir, ses escarpins vernis et ses petites boucles d’oreilles en perles, ça n’était pas vraiment très rock’n’roll tout ça.

Pourtant elle était belle. Pas d’une beauté classique non, quelque chose d’un peu décalé. Un peu plus grande que les autres sans doute, mince et musclée comme garçon, avec un visage qui avait quelque chose de juvénile.

En m’approchant d’elle, le premier mot qui m’était venu à l’esprit était paradoxe. Elle n’était pas ce qu’elle voulait bien montrer. Ses yeux, c’étaient ses yeux qui l’avaient trahie. Il y avait quelque chose dans son regard, une flamme, un soupçon de folie, une part d’ombre qu’elle cachait sous des dehors bien policés. Malgré son apparence de jeune fille bien propre sur elle, son angoisse était devenue palpable au fur et à mesure que je m’étais approché d’elle. Ca m’avait amusé. Voir le rouge lui monter aux joues et ses mains se mettre à trembler avait quelque chose de gratifiant. Visiblement je lui avais fait un certain effet. Parfait, la soirée s’annonçait plutôt bien.

Puis l’interview à proprement parler avait débuté, il fallait bien s’y mettre à un moment ou un autre. Elle avait repris une attitude très professionnelle et ça m’avait gonflé. Trop de maitrise d’elle à mon gout. J’avais envie de la bousculer, de faire revenir le rose qui colorait si joliment ses joues. Pour une raison inconnue, j’avais envie de la déstabiliser et de faire craquer ce vernis insipide dont elle semblait se recouvrir. Alors j’avais improvisé.

 

Cat allait me tuer. Je devais les rejoindre pour terminer tranquillement  la soirée avec eux au  bar de l’hôtel et voilà que je me pointai avec une journaliste. Il n’allait pas aimer, il les détestait tous.

La journaliste en question n’avait pas non plus l’air d’apprécier tellement mon initiative. En fait elle était carrément en panique. Je l’observai, adossé  contre le mur de la paroi de l’ascenseur qui nous conduisait à l’étage. Je pouvais quasiment voir les rouages de son cerveau tourner à plein régime. Une palette d’émotions contradictoires se peignait sur son visage. A un moment, alors qu’elle faisait tout pour éviter mon regard, j’étais presque sûr de l’avoir vu murmurer toute seule. Elle paraissait mener une lutte sans merci pour sauver ses apparences de sérieuse petite journaliste. C’est à cet instant précis j’avais décidé de découvrir ce qu’elle cachait, les raisons de son attitude tellement bizarre face à moi. Finalement elle m’intriguait. Je n’aime pas les mystères.

 

L’ascenseur stoppa sa course au dernier étage, au bar réservé aux clients. Je guidai Carlota vers le fond de la pièce, là où Cat et Brice m’attendaient. Mes deux acolytes étaient attablés devant un verre de bière, visiblement en train de modifier une partition. J’imaginais que c’était une initiative de Cat. Jamais satisfait celui-là. Depuis notre adolescence nous jouions tous les trois ensemble, et de nous c’était lui le plus perfectionniste. Aucun détail ne lui échappait. Il était capable de travailler nuit et jour pour une note ou un accord qui ne lui convenait pas sur un morceau. J’admirai sa ténacité et sa loyauté envers la musique. C’était, comme pour nous tous sa raison de vivre, mais pour lui ça représentait même un peu plus que ça.

Je sentis Carlota se raidir quand elle les aperçu. Je posais une main dans son dos, pour l’accompagner jusqu’au bout, mais elle sursauta et avança un peu plus vite pour fuir le contact. On aurait dit que je l’avais brulée.

 

– Carlota, je vous présente les musiciens de Wax. Brice à la guitare et Cat à la basse. Les gars, voici Carlota Maxwell

 

Je la vis s’avancer et leur tendre la main pour les saluer. Son visage était à présent livide. On aurait dit qu’elle venait de rencontrer des fantômes. Plus le temps passait, plus son comportement devenait étrange. C’était surréaliste en fait. Elle était censée faire un papier sur Wax et depuis qu’elle m’avait vu, elle semblait sur le point de défaillir toutes les cinq minutes.

 

– Melle Maxwell est journaliste à « L-World », et c’est elle qui écrira l’article sur le groupe. On tournait un peu rond, autour de questions sans vraiment grand intérêt pour le lecteur, alors je l’ai invité à se joindre à nous ce soir, pour qu’elle se fasse une idée de notre univers.

 

Comme prévu, je vis les épaules de Cat se contracter et son visage se fermer.

 

– Tu joues un jeu dangereux Nic. Ce n’était pas comme ça qu’on voulait communiquer.  On avait dit un article, rien de plus avant que la tournée ne commence.

 

Je compris l’avertissement. Il avait raison. On avait bossé comme des fous sur la communication de notre retour sur scène. Un article, quelques questions-réponses. Aucune explication sur notre absence de cinq ans, aucun sujet sur notre vie privée. La musique, rien de plus.

En fait je ne sais pas pour quelle raison j’avais fait ça. Pourquoi est-ce que je l’avais amenée ici, cette fille aux yeux noirs ? Pourquoi, chaque fois que je la regardais, je sentais que quelque chose clochait ? Et surtout pourquoi elle m’intriguait comme ça, sans que je puisse lâcher l’affaire ? Il y avait un risque en effet. Tant pis.

 

– C’est bon Cat, ça va le faire. Carlota, parlez-nous un peu de vous. Ce que vous écrivez, d’où vous venez. Essayons de faire un peu connaissance, un peu  comme des amis, et je suis sûre que le reste suivra.

 

Ma tentative de détendre un peu l’atmosphère fut un échec. Cat se renfrogna un peu plus, Carlota sembla sur le point de s’enfuir le plus loin le possible et Brice se marrait doucement planqué derrière son verre. Merci du soutien les mecs.

 

– Eh bien…en fait, je suis journaliste politique me répondit-elle embarrassée. J’ai accepté de remplacer mon collègue Sam à qui vous aviez initialement accordé cette entrevue. Il est retenu pour des raisons personnelles et m’a confié son interview.

– Et ben ça promet ricana Cat. Vous connaissez le monde de la musique un peu ou vous êtes là en touriste ?

 

Non mais qu’est ce qui lui prenait ? Il avait décidé de jouer les chiens de garde ou quoi ? C’était quoi cette réaction complètement démesurée. J’étais sidéré par le comportement de mon pote. D’accord j’avais un peu merdé en amenant Carlota ici, mais de là à la prendre pour cible.

Heureusement Brice s’interposa entre eux, sentant sans doute que les choses allaient déraper.

 

– Carlota, vous avez quand même entendu parler de Wax. Vous savez, ce groupe de mecs hyper sexy dont toutes les filles rêvent en secret au fond de leur lit. Allez avouez-le, je suis sûr que les murs de votre chambre d’ado était tapissée de nos posters

 

La jeune fille se mit à rire en l’écoutant. Brice racontait n’importe quoi, comme d’habitude, mais au moins il avait réussi à désamorcer un peu la situation. Il n’avait pas son pareil pour cerner les gens et les mettre à l’aise. Et il avait apparemment réussi. Il enchaina :

 

- Et puis si vous êtes là, c’est que vous connaissez votre job, alors ne faites pas attention à ce grognon de Cat, de toute façon il est toujours mal luné, et allez-y, posez vos questions.

 

 

 

– Très bien, ne perdons pas plus de temps. Je ferai en sorte de ne pas vous déranger trop longtemps lui répondit Carlota tout en fixant Cat d’un air mauvais.

 

– Et ça ne vous pose pas de problème d’écrire sur un sujet que vous ne maitrisez pas lui renvoya ce dernier d’une voix sarcastique.

 

– Eh bien au moins l’article sera écrit en toute objectivité lui balança-t-elle à la figure sur le même ton.

 

Il fallait que j’intervienne, mais j’avoue que la voir se transformer en petite guerrière face à mon ami, donnait encore un peu plus de piquant à la situation. Comme ça la petite savait se défendre. Intéressant. Elle était passée de la panique à la révolte en moins de trois minutes. Son regard était devenu encore plus noir, et ses lèvres étaient pincées quand elle regardait Cat. Les scrupules que j’avais eu en la mettant mal à l’aise s’envolèrent. Elle enchaina.

 

– Alors voici le quotidien d’un groupe qui s’apprête à retrouver la scène. Des interviews de promo dans de grands hôtels, une vie de nomade sur les routes, me demanda t’elle en griffonnant sur un bloc note.

– Pas tout à fait non. Nous habitons tous à Paris mais nous logeons ici depuis quelques semaines. C’est proche de l’endroit où nous répétons. On essaye de se couper un peu du monde, de nous retrouver dans une sorte de bulle. C’est meilleur pour la concentration, et puis on aime ça, tout simplement

– Un peu difficile pour la vie de famille non ?

– Nous n’abordons pas notre vie privée devant les journalistes Melle Maxwell aboya Cat, du fond de son fauteuil

 

Le confort professionnel dans lequel elle avait réussi  à se glisser s’envola. Sa main cessa de griffonner sur son carnet et son visage blêmit à nouveau. Cette fois j’intervins, ou elle allait vraiment finir par s’enfuir. Pas moyen

 

– Excusez mon ami Carlota, le manque de sommeil sans doute. Nous avons une sorte de pacte entre nous. Nous n’évoquons jamais notre vie privée devant les médias. C’est la seule chose qui nous appartient encore, nous la préservons comme un trésor.

– « L-World » n’est pas un journal à potins se défendit elle. Je ne veux pas jeter votre intimité en pâture. J’essaie juste de m’imprégner de votre univers, de votre vie, pour restituer au mieux mes impressions à nos lecteurs. Quant à votre vie personnelle, en aucun cas je n’en ferai mention dans mon article, c’est évident. Bref, continuons.

C’était hallucinant de regarder son visage. Je pouvais y voir le défilé de ses émotions et de ses pensées. Elle naviguait d’un état de stress à un professionnalisme sans faille, passant de l’un à l’autre en quelques secondes parfois. Cette fille était surprenante. Rafraichissante.

Elle continua à dérouler ses questions de manière très formelle. Tout y passa, de la date de la sortie de l’album à la préparation du prochain concert. Tout trace d’émotions l’avait désormais quittée, remplacée par un ton très sérieux. Ennuyeux.

Puis elle posa son regard sur moi. Ses yeux dans les miens. Elle oublia mes deux comparses. Juste elle et moi. C’est à cet instant précis que j’ai su que je ne la laisserai pas s’enfuir.

 

– Nic, pouvez-vous me parler de votre chanson préférée sur l’album qui sortira le mois prochain ?

– Et vous Carlota, laquelle préférez-vous ?

 

J’avais répondu du tac au tac, un peu pour botter en touche. Un peu pour la taquiner aussi, puisque visiblement elle n’en connaissait aucune.

 

– J’aime le single qui est sorti pour annoncer votre album. J’adore la façon dont le morceau est construit, comme la musique va crescendo. Le début avec ce simple morceau de guitare. Puis vous Cat, quand vous prenez le relai à la basse, j’ai le cœur qui se met à cogner un plus fort. Après, vient la mélodie au synthé qui adoucit un peu l’instant, juste avant le grand saut quand le morceau de batterie démarre. C’est le summum de l’harmonie.

 

Retour sur image s’il vous plait. Qu’est ce qui est en train de se passer là ? La fille devant moi, cette petite journaliste un tantinet trop sérieuse etait en train de s’emballer en parlant de ma musique, celle qu’elle était supposée ne pas connaitre. Ses joues s’étaient à nouveau colorées rouges, mais pas de gêne cette fois ci, c’était de l’excitation que je voyais briller au fond de ses yeux. Aucun doute. Je la laissai continuer.

 

– Les paroles seraient presque inutiles, mais ce serait se priver de votre voix de velours, poursuivit-elle en me regardant. Vous êtes un poète Nic. Vous avez réussi à faire suinter l’absence que vous ressentez à travers cette chanson. Pourtant en relisant les paroles, on comprend que c’est l’espoir qui vous guide, l’espoir de préserver cet amour que vous avez retrouvé. Cette chanson est magnifique en tout point et n’augure que de bonnes choses pour l’album à venir

 

Un silence gênant s’abattit  comme une chape de plomb sur notre petit groupe. Je sentis  les regards de Cat et Brice aller de Carlota à moi, mais personne ne dit rien. Qu’est-ce qu’il venait de se passer là ? Manifestement elle en savait bien plus que ce qu’elle nous avait dit. Ça sentait le piège. Cat avait eu raison de se méfier. Cette fille là nous connaissait, forcément.

 

Son silence était éloquent. Elle s’était rendu compte de son erreur. Elle rejoignait ses notes d’une main tremblante quand Cat brisa le silence

 

– Qu’est-ce que c’est que cette connerie Nic ?

– J’en sais rien Boy.

 

D’une main ferme, je saisi le poignet de Carlota et l’attirai vers moi en me levant

 

– Récupérez vos affaires Melle Maxwell, il est l’heure d’aller dîner. 

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